Députée de la Drôme (1ère circonscription)
Première Vice-présidente de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes
Vice-Présidente de la Commission des Affaires étrangères

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A l’Assemblée, des élus s’invitent dans le débat miné sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite


Le Monde - 8 juin 2019 - Manon Rescan

 

En avril 2018, trente-six députés macronistes ont voulu créer une commission d’enquête sur les exportations d’armes à l’Arabie saoudite. Une initiative qui a déplu à l’exécutif mais a créé le débat.

 

« La France tue au Yémen. » Sur la banderole brandie le 19 février en plein hémicycle, les mots accusateurs ont été tracés en lettres rouges. Un échalas aux tempes grises tend le drap fermement, le regard fixe. Sébastien Nadot, député de Haute-Garonne, est un ancien macroniste en rupture de ban. A en croire les ONG, plusieurs mois avant cette provocation, l’élu a été dans les coulisses de l’Assemblée nationale l’un des détonateurs d’un débat explosif sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite.

Depuis un an, questions au gouvernement, auditions, demandes de commission d’enquête se multiplient sur le sujet. Une situation d’autant plus rare qu’en France « il n’est pas habituel que des parlementaires s’emparent de façon critique de ce dossier », explique Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements, un centre d’expertise indépendant. Encore plus inattendu, ce questionnement a été déclenché par des députés de la majorité.

 

« Domaine réservé » de l’exécutif

En avril 2018, à l’initiative de M. Nadot, trente-six députés de La République en marche (LRM) et du MoDem ont signé une proposition de commission d’enquête sur les exportations d’armement français à la coalition saoudienne qui intervient militairement au Yémen.

Depuis mars 2015, Riyad tente sans succès de faire échec aux rebelles yéménites houthistes, alliés de son grand rival régional, l’Iran chiite. Les Saoudiens multiplient les bombardements contre des zones civiles et imposent un blocus partiel au pays qui précipite l’une des plus graves crises humanitaires de la planète. Une guerre sale et sans issue dans laquelle ont péri plus de 70 000 personnes depuis janvier 2016, selon une estimation de l’organisation indépendante américaine Acled.

Or, les Saoudiens et leurs principaux alliés, les Emirats arabes unis (EAU), sont pour la France des « partenaires stratégiques » au Proche-Orient et des clients importants en matière de ventes d’armes. Alors que Paris est le troisième pays exportateur au monde – la France a vendu 9,1 milliards d’euros d’armement en 2018, « d’excellents résultats » s’est félicité le gouvernement –, Riyad est son deuxième acheteur.

Lire aussi  La France a vendu des armes pour 9,1 milliards d’euros en 2018

De quoi inquiéter les ONG et certains parlementaires. La France n’est-elle pas signataire du traité sur le commerce des armes (TCA) qui interdit les exportations en cas de risques de violations du droit international humanitaire ? Interpellé sur la question, l’exécutif répète que ce commerce est strictement encadré et surveillé. Et il assure que, depuis le début du conflit au Yémen, les autorisations d’exportation sont étudiées avec une vigilance accrue et des critères plus restrictifs.

En France, les ventes d’armes de guerre ne sont autorisées qu’après avis de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) où siègent les ministères de la défense, des affaires étrangères et de l’économie. Mais ses décisions sont classées secret-défense et de nombreuses voix s’inquiètent du bon respect des règles internationales.

Depuis plus d’un an, la proposition de commission d’enquête des députés macronistes dort pourtant dans les limbes de l’Assemblée nationale. Dans les bureaux de LRM au Palais-Bourbon, l’initiative a provoqué un malaise. Sous la VRépublique, la défense est considérée comme un des « domaines réservés » de l’exécutif, dans lequel les parlementaires n’ont pas leur mot à dire. Sauf que les députés LRM se sont aussi fait élire sur la promesse de renforcer leur rôle de contrôleurs de l’action du gouvernement. Un engagement qui va se fracasser sur ce sujet sensible.

 

« Les pressions ont bien fonctionné »

A peine l’idée de la commission d’enquête a-t-elle émergé que des petites mains se sont activées pour faire capoter cette initiative. L’argumentaire est classique : ces exportations seraient vitales pour les industries de défense françaises, l’Arabie saoudite est un allié indispensable en matière énergétique et dans la lutte « contre le terrorisme ».

« Des collaborateurs du groupe sont venus taper à la porte des députés pour leur dire que ça n’était pas comme ça que cela marchait, que le rôle de la majorité n’est pas de mettre le gouvernement en difficulté et que pour cette raison la proposition de commission d’enquête ne serait jamais mise à l’ordre du jour », relate une source parlementaire.

« Quand on tente d’ouvrir le sujet, tous les moyens d’Etat se mettent en branle pour refermer la coquille », se désole Tony Fortin. Des signataires ont craint qu’en représailles on les prive de certaines de leurs responsabilité. Selon un comptage réalisé par Le Monde, au moins onze députés LRM et du MoDem ont depuis retiré leur appui à la commission d’enquête. « On m’a expliqué les enjeux politiques, géopolitiques et ma place dans le groupe », raconte l’un de ces parlementaires qui souhaite rester anonyme.

« Certains ont reconnu qu’ils n’avaient pas compris de quoi il s’agissait et m’ont dit qu’ils n’auraient jamais dû signer, rapporte Jean-Jacques Bridey, président (LRM) de la commission de la défense, fervent défenseur de la position de l’exécutif. Des députés signataires ont pris cette question avec un biais idéologique en pensant qu’on n’avait pas à vendre des armes. »

Pour d’autres, l’empressement des trente-six députés à proposer cette commission d’enquête traduit le « manque de sens de la stratégie politique » de députés découvrant les arcanes du Palais-Bourbon. « Nadot s’est comporté comme un membre de l’opposition », analyse une source parlementaire qui l’accuse d’avoir « instrumentalisé le sujet pour mettre en difficulté un gouvernement qu’il n’a jamais approuvé ».

« Les pressions ont bien fonctionné, déplore Tony Fortin. Mais politiquement il s’est quand même passé quelque chose. » Mireille Clapot, députée de la Drôme, qui a milité, plus jeune, dans les rangs de l’ONG Amnesty International pour le contrôle parlementaire sur les ventes d’armes, fait partie de ceux qui ont retiré leur signature. « Une commission d’enquête n’était pas le meilleur moyen d’appréhender le sujet en bonne intelligence avec les acteurs de l’Etat, déclare l’élue. Comme je veux vraiment avancer vers un meilleur contrôle sur les ventes d’armes, cette manière de procéder pouvait être contre-productive. »

En juillet 2018, l’ouverture d’un autre front la convainc de retirer sa signature. A cette époque, une mission d’information plus large sur la question du contrôle parlementaire des exportations d’armement est mise sur pied.

 

Premier pas

Cette mission n’a pas l’impact d’une commission d’enquête, dotée de pouvoirs beaucoup plus importants. Mais c’est un premier pas, car la France est un des pays où le contrôle parlementaire sur les exportations d’armement est le plus limité, loin de ce qui se produit au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.

Depuis 2000, l’exécutif a bien accepté de lever une partie du voile sur les ventes à l’étranger. Il est tenu tous les ans au 1er juin de publier un rapport au Parlement sur les exportations de l’année qui précède. Il détaille les montants de livraisons par pays, mais la nature précise des armes livrées, ainsi que leur usage, sont passées sous silence.

Les parlementaires savent encore moins dans le détail celles qui ont été refusées pour chaque pays par l’Etat français et pour quels motifs. « Ce rapport est perfectible », reconnaît le député (LRM) des Hauts-de-Seine Jacques Maire. Ce diplomate, ancien du Quai d’Orsay, a été nommé corapporteur de la mission d’information avec l’élue (Les Républicains, LR) des Alpes-Maritimes Michèle Tabarot. Ils doivent rendre leurs conclusions à la fin de l’année.

Tout l’enjeu de la mission est de permettre aux parlementaires d’avoir accès à plus de détails. « L’opacité sur ces questions, c’est désuet, assène Olivier Véran, député (LRM) de l’Isère. Les Français s’intéressent à la géopolitique et à la conformité de nos actes avec nos paroles. »

« On doit savoir ce qui est vendu, à qui et quels sont les contrats annexes de formation, d’entretien du matériel… », détaille de son côté le député (La France insoumise) de Seine-Saint-Denis Bastien Lachaud.

 

Fin de non-recevoir

D’autres plaident pour la mise en place d’une commission ad hoc comme le sénateur (PS) de l’Isère André Vallini, qui, début avril, a proposé la création d’une commission parlementaire bicamérale de contrôle des ventes d’armes. Dans un courrier, Gérard Larcher, président (LR) du Sénat, lui a opposé une fin de non-recevoir.

Une autre piste serait d’introduire des députés à la CIEEMG, en les habilitant secret-défense. « Mais si pour cette raison ils ne peuvent donc pas rendre compte, est-ce que cela satisferait le débat actuel ? », s’interroge Jean-Jacques Bridey. « Ce n’est pas au coup par coup sur un conflit qu’il faut s’y intéresser, insiste Aymeric Elluin, de AmnestyInternational. Il faut des parlementaires qui, chaque semaine, suivent ce qu’il se passe. C’est un changement de culture complète par rapport à l’exécutif. »

Dans le rapport annuel au Parlement publié mardi 4 juin, les ONG ont noté quelques menus aménagements, à commencer par les premiers mots de la ministre des armées Florence Parly, en introduction : « Les Français ont besoin de transparence. »

Malgré ces avancées, des acteurs des ONG émettent des doutes quant à la volonté de l’exécutif d’avancer. Certains faits leur donnent raison. En avril, une note de la direction du renseignement militaire (DRM) frappée du « confidentiel-défense spécial France », et publiée par le collectif de journalistes du site Disclose, est venue fragiliser l’argumentaire de l’exécutif sur l’usage des armes françaises au Yémen, dont il assurait qu’elles n’étaient pas utilisées par les forces saoudiennes en position « offensive », à l’encontre de civils.

 

« Course à l’échalote »

L’incertitude plane également sur la capacité de la mission d’information à aboutir à une solution ambitieuse et qui sera suivie d’effet. Le sort de la commission d’enquête est, lui, désormais entre les mains des oppositions de gauche, les Insoumis et les communistes animant aujourd’hui le débat.

« Ils sont dans une forme de course à l’échalote », s’amuse un militant d’ONG surpris que les socialistes montent eux aussi au créneau après avoir soutenu la politique d’exportation française lors du précédent quinquennat.

Chacun des groupes parlementaires aura une fenêtre de tir dès octobre pour déclencher une commission d’enquête. Mais même les Insoumis, pourtant parmi les plus engagés sur la question, hésitent à utiliser leur droit de tirage annuel sur ce sujet. « On nous a prévenus qu’elle se heurterait au secret-défense », explique Bastien Lachaud.

Sébastien Nadot a, lui, été exclu de la majorité en décembre 2018 pour avoir voté contre le budget. Il s’est attiré des regards ambivalents depuis qu’il a organisé à l’Assemblée nationale une conférence parlementaire internationale pour la paix au Yémen. La prise de parole par visioconférence de rebelles houthistes a embarrassé les ONG, mais il reste « l’homme qui a permis que les choses bougent »pour Aymeric Elluin. M. Nadot préfère, lui aussi, positiver : « Pour le Yémen, ça ne change rien, mais pour les ventes d’armes, ça avance. »


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