Ma question à M. Le Général de division aérienne Philippe Adam et Mme Florence Gaillard-Sborowsky, chercheuse à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS)
Le 5 juillet 2023
Table ronde sur la militarisation de l'espace avec le Général de Division aérienne M. Philippe Adam et la chercheuse à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) Mme Florence Gaillard-Sborowsky
Mireille Clapot :
Merci Monsieur le Président,
Merci Madame, merci Général pour cette présentation,
Effectivement, l’espace congestionné, contesté et compétitif. Il s’agit de la 4ème dimension de nos armées après la terre, la mer et l’air. C’est le lieu de nombreuses menaces, mais aussi d’opportunités marquées par des conquêtes technologiques. L’espace est aussi le lieu de confrontations et de stratégies multiples qui ne sont pas toujours convergentes entre puissances, dont la France, et acteurs du privé. Le droit international est encore nébuleux, avec des principes fondateurs du traité de l’espace de 1967 excluant théoriquement sa militarisation, mais on voit bien que la mise en place du commandement de l’espace montre que la France a saisi l’importance des enjeux.
Je fais d’ailleurs le lien avec la loi de programmation militaire votée le mois dernier et qui renforce notre action dans l’espace avec le renouvellement des capacités spatiales d’observation et d’écoute, l’accroissement de notre défense en orbite basse, la création d’un centre de commandement pour piloter des actions vers, dans et depuis l’espace et, enfin, la programmation des satellites patrouilleurs-guetteurs Yoda, qui est une première à l’échelle européenne.
Je vais avoir plusieurs questions à vous poser parce que vous avez ouvert énormément de perspectives. D’abord, la question de l’indépendance technologique en matière logiciel, cloud, accès aux matières premières et aux composants stratégiques. Pensez-vous que nous avons des dépendances critiques à l’égard de puissances étrangères hostiles ou de consortiums privés dans ces domaines ? Par ailleurs, l’émergence des groupes privés qui transforment les rapports de force et les volontés d’exploitation des ressources spatiales ou encore la course vers Mars – qui peuvent créer des ruptures technologiques majeures - est-ce que vous pensez que nos capacités de télécommunication et de renseignement qui font de la maintenance et de la protection de nos satellites un enjeu stratégique pour notre sécurité nationale sont bien maîtrisés ? On a vu avec l’Ukraine et Starlink l’importance mais aussi la vulnérabilité des constellations satellitaires en orbite basse. Pouvez-vous nous en dire plus ? J’ai une dernière question sur les accords Artemis d’exploration de la lune qui ont été signés en 2022 par la France. Cela ouvre-t-il la voie à une conflictualisation et comment sera gérée la propriété de l’espace autour de la lune ? Je vous remercie.
Florence Gaillard-Sborowsky:
Je vais répondre à la question sur Artemis. Si j’ai bien compris votre question, ce qui est intéressant avec les accords Artemis, c’est cette notion de zone de sécurité qu’ils ont amenée et qui, pour l’instant, est en dehors du droit international de l’espace tel qu’on le connaît et qui vient le bousculer. C’est quelque chose qui est réfléchi : qu’est-ce que vient signifier ces zones de sécurité par rapport à la question de l’appropriation qui, normalement, est interdite par le traité des corps célestes.
Les Etats-Unis ont l’art de s’engouffrer dans les failles des traités spatiaux. Si je fais référence au Space Act de 2015 qui autorise leurs acteurs privés à exploiter les ressources minières sur les corps célestes et les astéroïdes, celui-ci s’engouffre dans le faite que, lorsqu’on exploite une ressource, on ne s’approprie pas le contenant de cette ressource.
C’est tout à fait intéressant de voir comment ce droit privé vient bousculer le droit international. C’est sûr qu’aujourd’hui, le droit international de l’espace, on le sent moins adapté aux nouvelles conditions stratégiques qu’au moment de son élaboration. Il faut rappeler que ce droit de l’espace a principalement été élaboré par des négociations entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, à une époque où les acteurs privés étaient inexistants en tant qu’acteurs dans l’espace. Les industriels travaillaient avec les gouvernements mais ils n’étaient pas acteurs en tant que tels.
Donc, le droit international de l’espace a des caractéristiques aujourd’hui qui rendent effectivement son efficacité sujette à question. C’est un droit qui est fragmenté. Il y a une absence de forum unique pour en discuter. Je parlais tout à l’heure de l’augmentation des actes privés : il y a les droits privés nationaux comme le Space Act mais aussi des initiatives d’industriels comme Confers qui est une association d’industriels qui détermine des règles de comportements responsables pour tout ce qui est opération de rendez-vous et de proximité. Cela va peut-être poser des problèmes à nos armées, en tout cas aux militaires, car un industriel qui adhère à ces principes va devoir s’y conformer. Est-ce que cela va pouvoir fonctionner ? Merci.