Inauguration à la MCA de l'exposition "Nous sommes l'avenir" les orphelins du génocide arménien
Vendredi 12 avril, à l'invitation d'Alain Jinbachian de la Maison de la culture arménienne, je me suis rendue au vernissage à Valence de l'exposition "Nous sommes l'avenir" sur les orphelins du génocide arménien de 1915. Comme pour le génocide rwandais que j'ai commémoré à Kigali il y a 4 jours, les terribles mécanismes du génocide arménien incluent l'avant (discours de haine et préparation des tueurs), le pendant (meurtres et exactions) et l'après, avec la difficile survie et la lutte contre la négation. J'irai le 24 Avril soutenir à Istanbul les militants des Droits Humains et les journalistes qui luttent pour la reconnaissance du génocide et la liberté d'expression.
Retrouvez ci dessous mon discours :
Monsieur Le Préfet,
madame la Vice-Consule,
madame la conseillère régionale chère Françoise Casalino,
madame le maire,
monsieur le président de la Maison de la Culture Arménienne,
messieurs les co-présidents du comité du 24 avril,
madame la représentante de la Croix bleue Arménienne,
mesdames et messieurs les représentants de l'Ugab et Arménia,
mesdames et messieurs les représentants des autorités religieuses,
mesdames et messieurs, chers amis,
Monsieur Jinbachian, je vous remercie de cette invitation et de l’occasion que vous m’offrez de prendre la parole sur le génocide arménien. Vous savez comme je suis sensible à cette question historique, humaine, politique, et, je dois vous l’avouer, j’y suis attentive aussi parce qu’elle transcende la question spécifique des Arméniens, et qu’elle parle à l’humanité tout entière. Quatre génocides ont eu lieu dans le monde au XXème siècle. Indépendamment du contexte, chaque fois différent, des traits communs relient ces génocides. J’étais encore lundi 8 avril au Rwanda, qui a connu le génocide de 1994 et je ne cesse d’y penser.
Des mécaniques communes sont à l’œuvre dans ces génocides, avant, pendant et après.
D’abord il y a l’avant : la montée progressive de l’hostilité, de la désignation d’un groupe, qu’on isole, qu’on désigne comme bouc émissaire, qu’on déshumanise. Des discours de haine, la planification de l’extermination, et la préparation d’une organisation étatique au service de cette « solution finale ». Ensuite il y a les terribles événements, les monstrueuses tueries, les exactions. L’obsession d’une menace vitale conduit les dirigeants de cet Etat à légitimer puis à prescrire la destruction du groupe, dans un climat de paranoïa où tout principe moral a disparu. Et enfin il y a l’après. Comment vivre avec ces deuils, avec l’absence, avec les traumatismes, avec parfois la négation. Mais vivre malgré tout.
Permettez-moi de vous dire quelques mots du Rwanda : d’avril à juillet 1994, 800 000 à 1 million de Tutsis ont été tués, à la machette, par des miliciens : leurs voisins, leurs professeurs, leurs avoisinants comme le raconte Jean Hatzfeld. Pourchassés dans les marais, dans les collines, dans les églises. A ce jour, la passivité de la communauté internationale n’en finit pas de poser question. La commission d’historiens et de chercheurs présidée par Vincent Duclert devra faire la lumière, avec les archives enfin ouvertes, sur le rôle de la France.
La justice internationale, et les justices des pays, ont envoyé en prison de nombreux génocidaires. En parallèle, les gaçaça, ces tribunaux de réconciliation, ont abouti à faire cohabiter, de nouveau, bourreaux et victimes sur les lieux mêmes des massacres. Lors des cérémonies mémorielles auxquelles j’ai assisté dimanche aux côtés du député Hervé Berville, lui-même orphelin tutsi adopté, le président rwandais Kagamé a insisté sur cette restauration du tissu social, dans le but de construire un Rwanda nouveau, capable d’affronter les défis du XXIème siècle, où les femmes jouent un rôle renforcé.
Dans 10 jours, je partirai de nouveau, comme en 2018, à Istanbul afin d’y passer le 23 et le 24 Avril. Commémorer le 24 Avril en Turquie, ce n’est pas facile car une banderole avec le mot génocide peut emmener le manifestant en prison. Alors bien sûr, moi, députée française, je ne risque pas grand-chose, j’ai juste un peu de pression dans un univers quadrillé par la police. Mais justement, je souhaite être présente auprès des militants des droits humains, auprès des journalistes, de Cumhurryiet et d’Agos, auprès de la Fondation Hrant Dink, pour dire haut et fort qu’on ne construit l’avenir et la réconciliation qu’en regardant lucidement le passé, tout au moins, en acceptant de le soumettre aux travaux des historiens et des intellectuels.
Vous me voyez donc ici, à Valence, en ce 12 Avril, entre deux déplacements très importants pour moi, entre deux commémorations de génocide, l’une officielle, l’autre quasi-clandestine. Votre exposition tombe donc à point nommé : elle s’intitule « Nous sommes l’avenir ». Oui, vous êtes l’avenir. Les descendants des victimes, par leur intégration et par leur esprit d’entreprise, par leur vitalité, montrent au quotidien qu’ils sont l’avenir. En octobre, j’étais à Erevan avec le président de la république, nous avons rendu hommage à notre bien-aimé Charles Aznavour, et nous avons assisté à la transition pacifique avec le nouveau gouvernement arménien. Vous, diaspora engagée dans la perpétuation de vos racines, et vous, Arméniens vivant au pays, vous êtes l’avenir, et vous portez un discours de tolérance. Je formule simplement le vœu que la future Europe qui se dessine porte ces valeurs de tolérance et nous aide à construire dans le respect de l’humanité et de sa diversité.
Merci de votre attention.